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Témoignages Lecture : 4 min

Jean-Christophe Fromantin: "Les villes n’existent que par la prospérité des territoires qui les entourent"

Fromantin : «Les villes n’existent que par les territoires alentours»
Le maire de Neuilly a le regard tourné vers les territoires : pour lui, il est urgent d’avoir une vraie politique d’aménagement des territoires pour revitaliser les zones rurales. Interview.

« Ma terre, mon énergie » poursuit sa série d’interviews de « Grands Témoins » qui valorisent et s’intéressent aux territoires. Après avoir interrogé Frédéric Dabi, Directeur général adjoint de l’institut Ifop sur l’attractivité des zones rurales, et Olivier Binet, fondateur de l’application de covoiturage Karos sur l’aide entre particuliers dans les zones peu desservies, nous avons interrogé Jean-Christophe Fromantin. La vision des territoires guide l’action publique du maire de Neuilly. Il est notamment l’auteur de « Mon village dans un monde global », « Le temps des territoires » et « Travailler là où nous voulons vivre ».

Dans votre livre Travailler là où nous voulons vivre, vous expliquez que les métropoles sont un héritage du vieux monde. Que manque-t-il pour que la ruralité regagne en attractivité ?

Aujourd’hui, ce sont les villages que les Français plébiscitent. Il y a une recherche de plus en plus forte de qualité de vie et d’authenticité de la part des Français. Ce mouvement est rendu possible par l’innovation, qui permet d’accéder, là où on le souhaite, aux avantages et aux services que l’on ne pouvait avoir qu’en ville hier. Aujourd’hui, le plus grand supermarché du monde ou le dernier film sont accessibles en un clic de presque n’importe où. Nous avons de moins en moins besoin d’aller vers les services, ce sont les services qui viennent vers nous. Cette évolution remet en cause la concentration urbaine.

C’est une tendance de fond qui va s’accentuer ?

Les promesses de la 5G vont accélérer ces possibilités en multipliant par 100 le débit. La qualité de service dans les zones rurales comme dans les villes moyennes pourrait ouvrir de nouveaux champs dans de nombreux domaines comme la santé ou l’éducation. Il y a une redistribution possible grâce aux technologies, et il est indispensable de la prendre en compte car elle nous permet de sortir des impasses économiques, sociales, environnementales, culturelles, dans lesquelles la métropolisation du monde risque de nous projeter. La vraie révolution n’est pas la technologie en elle-même, c’est ce que nous en ferons. Si nous n’en faisons pas un moyen pour vivre plus heureux, là où nous rêvons de vivre, alors il est probable qu’elle nous transformera en « data ».

Vous profitez de l’aménagement de l’avenue de Gaulle à Neuilly pour mettre en valeur des territoires français, à travers des pavillons thématiques orientés vers la culture. Comment s’est construite cette démarche ?

J’ai été très attentif aux théories du géographe du milieu du XXe siècle Fernand Braudel, qui disait que les villes n’existent que par la prospérité des territoires qui les entourent. Et c’est vrai, même si elles ont peut-être tendance à l’oublier. Les villes ont comme éléments de prospérité durable ce qui s’agrège autour d’elles : le patrimoine, les villes moyennes et les villages, l’agriculture, l’industrie et l’artisanat etc. La ville prospère dans la qualité de ses relations avec le monde mais aussi en fonction de la vitalité des territoires qui l’entoure. De ce fait, elle est en perpétuelle obligation de rendre une partie de ce qu’ils lui apportent. N’oublions pas que les villes se sont construites d’abord comme des places de marché. Elles étaient le lieu où on allait vendre et acheter, et se sont développées en accompagnant ces dynamiques d’échange. Cette logique est à reconstruire. Nos villes n’ont pas d’avenir si elles font le vide autour d’elles.

On ne peut donc pas penser la ville sans penser la ruralité ?

La ville n’a pas de sens si elle veut se suffire à elle-même. Et à l’inverse, les territoires n’ont pas de sens s’ils ne s’articulent pas avec les villes. Il y a une fertilisation croisée, et la ville est redevable aux territoires de cette vie, de ce développement, de cet héritage et ce futur qu’il propose. C’est pour ça que quand je lance un grand projet urbain comme la revitalisation de l’avenue Charles de Gaulle à Neuilly, au cœur même de la métropole, je veux qu’il y ait un marqueur, un rappel de l’influence des territoires. D’où l’idée de construire des pavillons, des « folies » comme je les appelle, qui interpelleront sur les richesses culturelles de la France.

Y a-t-il des exemples concrets de réalisations des territoires qui vous inspirent ?

Il y a d’abord des éléments statistiques qui permettent de voir qu’une région comme l’Ile-de-France perd des dizaines de milliers d’habitants tous les ans. Il y a beaucoup d’études qui ont été faites demandant aux Français où ils voudraient vivre - et c’est vrai également à l’international - et ce sont les villes moyennes qui sont plébiscitées. Dans ce contexte, on voit éclore de plus en plus d’entreprises qui revisitent le savoir-faire local, par une vision touristique, par la mise en valeur d’une gastronomie régionale, ou qui redonnent un rayonnement grâce aux technologies à des choses qui semblaient un peu oubliées. Ces personnes redynamisent les atouts des territoires. Elles redonnent une modernité en proposant quelque chose de nouveau, de culturellement intéressant, à des clients potentiels.

On parle beaucoup de « smart cities » pour inventer le monde de demain. Qu’est-ce que ces technologies peuvent apporter aux zones rurales ?

Autant que les villes, tous nos territoires ont besoin de cette couche d’innovation. La ville a été le lieu où l’on s’est concentré pour avoir accès ensemble à des services. Ce qui est « smart » dans une ville, c’est plutôt ce qui permet de corriger les dérives et les défauts de l’hyper-concentration urbaine, pour les transports, le stationnement notamment. Utilisons le « smart » pour rendre accessible des services là où on a envie de vivre autant que pour corriger les dérives de la ville !

Qui dit mobilité dit énergie, une donnée importante lorsque l’on est à l’écart des circuits urbains d’approvisionnement. Est-ce que ces zones rurales peuvent montrer l’exemple en matière de transition énergétique ?

Ma vision s’appuie sur un nouvel aménagement du territoire qui servirait de référence à tous ceux qui s’interrogent sur leurs projets de vie. L’idée est simple, elle s’élabore à partir de deux pivots : les villes moyennes et les métropoles, puis de permettre à tous les Français d’être à moins de 10 minutes d’une ville moyenne et à moins d’1h30 d’une métropole. Cette trame de huit métropoles et de 400 villes moyennes, dotées l’une et l’autre de services et des offres indispensables à chacun, permet de recréer un équilibre territorial, de renforcer l’intérêt des zones rurales, et de redistribuer les différentes formes d’énergie et de valeur ajoutée. C’est très important, car actuellement nous vivons ce paradoxe, d’une France en voie de désertification là où il fait bon vivre, et de métropoles dont l’hyper-concentration crée une multitude de problèmes sociaux et environnementaux.

En matière de respect de l’environnement, les campagnes peuvent montrer l’exemple ?

Ce qui pose le plus de problèmes aujourd’hui, ce sont les îlots de chaleur créés par les grandes villes. La dissémination sur le territoire, elle, pose beaucoup moins de problèmes. Une voiture en plein centre-ville, entourée de milliers d’autres, c’est un problème. La même auto qui traverse la campagne, ça l’est beaucoup moins, puisque ses émissions seront diluées. Le problème est beaucoup dans l’hyper concentration qui créé des îlots de chaleur qui percent notre couche d’ozone. Si l’on avait un pays mieux distribué, la dilution neutraliserait une partie des effets que l’on condamne. De plus, nous pourrions engager une transition énergétique en tenant mieux compte de la manière dont les gens vivent et des contraintes spécifiques à chaque territoire.

On parle de fracture territoriale depuis 25 ans, et celle-ci n’est pas résorbée : quelles pistes n’ont selon vous pas encore été suffisamment exploitées ?

Je suis convaincu que le pire c’est le silence ou l’incertitude territoriale. Un particulier ou une entreprise, pour investir dans une maison, une machine ou un commerce, a besoin d’être certain que la situation actuelle ne se dégradera pas ; que le lycée, l’hôpital ou la gare ne seront pas fermés. C’est comme l’instabilité fiscale : ce n’est pas tant la fiscalité qui inquiète que le risque de changement de doctrine. Le premier sujet des pouvoirs publics devrait être d’avoir une vision durable de l’avenir des territoires. Ils ne peuvent plus être une variable d’ajustement des investissements des politiques publiques. À partir du moment où l’on aura posé un modèle et une perspective durable, un signal de réinvestissement très fort sera envoyé. La situation, même si elle n’est pas exactement celle souhaitée, se figera, avec une ambition, une intention de maintenir une infrastructure de transport, un hôpital, une école… Lorsque l’on redonnera confiance, nous redonneront envie d’investir, d’acheter, de consommer ou d’y venir en vacances. Aujourd’hui, trop d’habitants sont dans l’incertitude et se demandent : « est-ce que mon territoire a encore un avenir ? »