« Ma terre, mon énergie » poursuit sa série d’interviews de « Grands Témoins » qui valorisent et s’intéressent aux territoires. Après avoir interrogé Frédéric Dabi, Directeur général adjoint de l’institut Ifop sur l’attractivité des zones rurales, Jean-Christophe Fromantin maire de Neuilly et auteur de Mon village dans Un monde global, ou encore Caroline Cayeux, maire de Beauvais et présidente de l’association des Villes de France, nous nous sommes entretenus avec Guillaume Poitrinal, Président de la Fondation du patrimoine.
La fondation du patrimoine joue un rôle prépondérant dans la valorisation et la sauvegarde du patrimoine. Quel bilan dressez-vous de son état actuel ?
“Notre patrimoine est dans un état inquiétant puisqu’il souffre lui aussi de la baisse des dotations publiques d’entretien. C’est souvent lorsque des opérations d’urgence sont nécessaires que des travaux de restauration sont entrepris, mais le coût est alors bien plus élevé qu’un entretien régulier.”
Les Français tiennent à leur patrimoine et s’en sentent responsables. Finalement, c’est cela l’enseignement du succès du loto patrimoine ?
“Le patrimoine, plus particulièrement le petit patrimoine, est le cadre de vie de nos concitoyens, il est normal qu’ils y soient si attachés. Avec le loto du patrimoine de Stéphane Bern et de la Fondation du patrimoine, ils ont trouvé un média simple et populaire pour transcrire cet attachement à leur patrimoine.”
Au-delà des monuments d’arts, de l’histoire qu'ils représentent, quelle est la symbolique qui se traduit par ce vif intérêt pour la sauvegarde du patrimoine ?
“Si je devais retenir une symbolique, c’est celle de lieux de culture car le patrimoine offre à chacun, d’où qu’il vienne, quel que soit son parcours, de faire sien un monument, son histoire et ses valeurs s’il désire le protéger, le partager aux autres et le transmettre. Ma vision du patrimoine n’est pas celle d’un conservatisme ou d’une nostalgie, mais celle d’une ouverture vers les autres.”
En France, 2800 monuments sont en souffrance. Pas seulement à Paris, mais partout sur le territoire. Pourquoi a-t-on repoussé les restaurations ?
“Beaucoup d’élus voient le patrimoine comme une charge et non comme une opportunité. Restaurer une église dans laquelle personne ne vient prier semble dérisoire mais la finalité est peut-être ailleurs. Sa restauration participe à la fierté de résider dans une commune, d’y ouvrir un commerce, d’y fonder une famille et de devenir avec ses enfants une partie de l’histoire de cette commune.”
Comment, chacun à son niveau, peut-il participer pour aider ?
“Au-delà du don financier pour un projet, il y a le don de soi pour la Fondation. Nous avons besoin de bénévoles y compris pour des choses très locales et ponctuelles : une demi-journée par semaine pour prendre des photos, suivre un chantier, donner des nouvelles, mettre en place une visite guidée c’est déjà beaucoup.”
Il y a eu une forte émotion lors de l’incendie de la cathédrale Notre Dame. N’est-elle pas le symbole du savoir-faire français, de l'artisanat venu des territoires, des matières premières qui en sont issues (forêts, carrières…) ?
“Bien sûr. Nous avons la chance sur nos territoires d’avoir encore des artisans qui sont les héritiers des compagnons qui ont bâti la cathédrale de Notre-Dame de Paris il y a 850 ans. Ce chantier sera aussi un conservatoire des métiers et des fiertés de nos savoir-faire français. Je suis très fier que la noblesse des matériaux anciens, le bois, la pierre, le verre se perpétue et s’enrichisse de technologies de pointe (laser, scan 3D, physique et chimie des matériaux) qui sont aussi une chance pour l’emploi en France.”
Certains monuments de grandes villes prennent la lumière, mais l’enjeu de la sauvegarde du patrimoine se situe à tous les niveaux. Y a-t-il des actions locales symboliques que vous souhaiteriez mettre en avant ?
“Je suis aussi attentif aux grands sites de l’histoire de France qu’aux actions humbles qui portent des valeurs fortes : nous distinguons avec la Fondation du patrimoine des professeurs de primaires qui sensibilisent les élèves de leurs communes en lien avec les maires et artisans (prix « 1,2,3 patrimoines ! ») ou des éleveurs qui se battent pour faire reconnaître la sauvegarde d’espèces agricoles qui sont un patrimoine en danger dont on commence enfin à reconnaître les enjeux économiques (prix « agro-biodiversité »).”
Comment ont évolué les engagements provenant des entreprises dans les dernières années ?
“Je suis très heureux de constater que le patrimoine, qu’il soit bâti ou naturel, entre de plus en plus en synergie avec les priorités des entreprises. Le patrimoine du quotidien que je défends c’est aussi celui des employés, des clients, des partenaires de beaucoup d’entreprises. Par ailleurs certains jeunes talents choisissent de rejoindre des entreprises qui sont attentives à la gestion de leur empreinte dans leur écosystème socio-économique. L’arrivée de Primagaz comme mécène de la Fondation du patrimoine illustre cet engagement citoyen et je m’en réjouis.”
Les projets soutenus par la Fondation ont aussi un impact sur le développement durable, à travers la biodiversité (ex : Bono dans le Morbihan). Une nouvelle tendance dans la sauvegarde du patrimoine français, plus axé Développement Durable et protection de la nature ?
“ Plus qu’une tendance, je parlerai d’une « éthique de la responsabilité » qui s’impose à nous. Le patrimoine bâti, le patrimoine naturel nous invite à réfléchir sur la trajectoire de nos sociétés ; sur ce que nous ont transmis nos aînés et sur ce que nous léguons à nos enfants et petits-enfants. Sauver un théâtre à Bar-le-Duc qui allait devenir un parking ou préserver avec Primagaz les berges ostréicoles du Bono près de Vannes, qui s’effaçaient du paysage comme des mémoires pour recréer des sentiers de découverte, c’est faire une promesse pour l’avenir. Le patrimoine permet également de mettre à l’honneur la réhabilitation des matériaux anciens comme la pierre et le bois dont on redécouvre les qualités après des années de construction exclusivement en béton et ciment.”